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vendredi 25 juillet 2014

Guerrière et Capitaine




Le matin, nous commençons par préparer nos armes. Derrière moi la guerrière est assise en tailleur. Elle a le visage du félin, le museau de la lionne et les cheveux en amazone. Les sourcils concentrés et les paupières pleines de sommeil elle taille en silence le bois de ses flèches, vérifie la tension de son arc. Moi capitaine de plus-personne, je nettoie le canon des revolvers et j'affute mon couteau. Ce sont maintenant nos gestes quotidiens, solitaires, presque des habitudes. Lorsque chaque flèche est aiguisée, chaque revolver armé, nous passons tous les jours un peu de temps à panser nos blessures. La guerrière se recoud le ventre pendant que j'inspecte la plaie sur mon torse. La cicatrisation semble correcte. Je garde un oeil sur l'horizon, encore méfiante et persuadée que la tempête n'est pas finie. Pour l'instant le vent s'est calmé et les voiles se découpent tranquilles dans un ciel presque bleu. L'équipage s'est tiré pour une mutinerie de vacances, seules la guerrière et le pirate cherchent à gagner des points en nettoyant le pont. Le galion est vide et muet, j'entends seulement la lame qui entaille le bois silencieux, et le murmure des vagues comme le ronronnement d'un chat roux.

D'un oeil distrait j'observe la peau tannée de la guerrière, je compte vaguement ses cicatrices et je souris en diagonale. Je n'ai d'admiration que pour les abimés. Nous collectionnons des blessures qui scintillent comme des trésors, des médailles. Je compte aussi les munitions qu'il reste, plus grand chose en vérité, mais bien assez pour le bouquet final.

Il fait trop chaud sur le pont du navire et on a du pain sur la planche. Quand l'après-midi jette sa lumière fauve sur la structure absurde de notre bâtiment, c'est qu'il est venu l'heure de nous scénariser. Nous sortons la plume, le papier, et nous écrivons la suite de l'histoire. Elle est allongée dans les voiles, machouille sa plume en fronçant les sourcils, son pied chassant les mouches. Nous rions d'avance face à l'horreur des événements à venir : Chasse au grizzli, duel contre une montagne, tempête de météorites enrhumées, maladies incurables, trou dans la coque du navire, sortilèges amoureux stupides, vaudou intempestif, éruption de volcan, tout reste encore à vivre et jusqu'ici, nous n'avons pas eu beaucoup de chance. Mais le pouvoir de tout scénariste réside dans son aptitude à observer chaque évènement sous un angle improbable pour en dégager, à chaque fois, les situations les plus cocasses et les vibrations les plus belles. Il est sept heure à bord du grand Galion, c'est le calme après la tempête. Loin de nous le goût du béton, à portée des doigts la gâchette.

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